.... Ceux qui échappaient à ces univers - honteux déserteurs de l'époque - disparaissaient littéralement de la surface de la terre : il nous fallait créer et non trouver notre place pour être digne de figurer dans la liste infinie de ceux qui avaient osé aller à contre-courant en risquant d'être minoritaires. Nous, nous étions héritiers d'une famille sans frontière, choisie et non subie. Nos oncles et cousins s'appelaient Rabelais ou Louise Michel, Spartacus, Simone de Beauvoir ou Mao.
Les références changeaient selon les groupes et les affinités. La vraie communion s'exprimait lorsqu'elles nous rassemblaient autour des mêmes héros. Alors une confiance fraternelle scellait les bases nécessaires à notre engagement. Allions-nous jouir d'un bien-être chaque jour en expansion alors que nous savions la majorité de l'humanité exclue de ses bienfaits? Une culpabilité - qui n'atteignait pas nos contemporains d'un même poids - nous poussait à hâter la décolonisation déjà bien entamée, et à combattre ce qui restait de totalitarisme balafrant nos idéaux démocratiques planétaires.
Nous nous sentions investis d'une mission émancipatrice bien que les plus visionnaires décelaient les failles (sic!) qui n'ont pas manqué de troubler nos plans idylliques. Les despotismes et obscurantismes des nouvelles nations "libérées" s'étaient amalgamés aux poisons du nationalisme et du tribalisme. Installés pour longtemps, nous nous devions de dénoncer ce cocktail explosif comme nous n'avions pas hésité à le faire des "vieilles" oppressions....